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« Si je commence par l’amour, c’est que l’amour est pour tous – ils ont beau le nier – la grande chose de la vie ». Baudelaire

Lacan a beaucoup parlé de l’amour, enrichi qu’il était par sa culture littéraire, poétique, philosophique, mystique…Il commence par l’amour narcissique, corrélatif de son fameux stade du miroir. L’image est alors fondamentale, l’objet aimé n’est autre que son propre moi. C’est l’amour qui rend fou, quand on ne sait plus où commence l’un et où finit l’autre ! C’est aussi l’attachement mortel du coup de foudre. En rester là procéderait d’un ravalement. 

Lacan va donc extraire l’amour de son engluement narcissique pour en faire un pacte symbolique dans « les dits de l’amour » à la condition qu’une « liberté accepte de se renoncer elle même ». Dans le même souci d’atténuer la capture narcissique, il passera du « pacte » au « don actif » disant alors que « l’amour c’est donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas », et introduisant de ce fait la dimension du manque.

Puis, adossé à Hegel et Heidegger, il va faire de l’amour une passion de l’être, aux cotés de la haine et de l’ignorance, situant l’amour au joint de la parole et de l’image. L’amour devient alors une des voies par lesquelles l’être se réalise. Ces passions de l’être Lacan les traduira d’un mot : «  l’hainamoration »…pas d’amour sans haine !

Mais, considérant que l’amour  vise un au delà de l’objet, Lacan en  vient à interroger l’amour courtois et l’amour mystique. L’amour courtois, chanté par les troubadours, se délectait de mettre en mots le corps de la Dame pour ne pas y toucher…Quant à l’amour mystique, offrant  l’illusion d’un amour pur, il invite à jouir du renoncement à toutes jouissances ! L’Eglise s’est quelque peu rétractée en proposant « l’amour du prochain » pour faire limite au mal.

Alors vient une question : que faire du désir ? Admettons que le désir cherche une satisfaction et que l’amour vise l’être. Mais quel objet pour satisfaire le désir ?

Un complément sexuel ? Soit ! Mais est-ce suffisant ? En réalité, l’objet recherché n’a pas d’existence matérielle alors même qu’il est la cause du désir humain. C’est le fameux objet dit « petit a » par Lacan. Causé par l’objet perdu du seul fait d’être né et déterminé par le manque, le désir visera des objets susceptibles de se substituer à l’être, pourtant inatteignable. Car l’objet manque et qu’il y a du manque dans l’objet…

C’est pourquoi dans le champ de l’amour il n’y a que des signes. Et l’amour en demande toujours plus, on ne sait pas quoi, à moins qu’il s’agisse de l’objet perdu, ce « vide de la Chose » qu’évoquait Freud.

La voie est désormais ouverte à Lacan qui, préoccupé par le désir, va interroger ce qui en fait le ressort : la jouissance. Nous voici parvenus à l’étreinte des corps qui bien qu’enlacés ne se confondent jamais en un…Rien ne peut se dire de la jouissance du partenaire : « Il n’y a pas de rapport sexuel ». Ca cloche au pays des « parlêtres », incomplétude, aléatoire, leurre et boiteries diverses sont au rendez-vous !

L’amour vient ici nous secourir : il est une suppléance à ce rapport qui n’existe pas.

Parlons plutôt  « d’amur » comme le préconisait Lacan : le mur de l’objet petit a, le mur du langage portant le malentendu, le mur du non-rapport sexuel. IL y a donc une butée, l’impossible est un nom du réel. L’amour est par hasard la rencontre de deux savoirs insus…Alors, l’amour ? Une reconnaissance de l’impossible ??

Mais à l’heure où l’objet fascine et où la jouissance vient supplanter le désir, quid de cet impossible ? Quid de l’amour ?

Marc Lévy